Approche théorique
Le concept du cycle du deuil, initialement introduit par Elisabeth Kübler-Ross dans son livre “On Death and Dying” en 1969, a été largement utilisé pour comprendre les réactions émotionnelles face à la mort et à la perte.
Ken Moses est un psychologue qui a adapté le modèle du cycle du deuil d’Elisabeth Kübler-Ross aux expériences des personnes confrontées à un handicap acquis. Dans les années 1980 et 1990 il a contribué à faire reconnaître que l’acquisition d’un handicap peut être vécue par l’individu comme une perte profonde, non seulement de la fonction physique mais aussi de l’identité et des rôles antérieurs.
Ken Moses a été motivé à utiliser le cycle du deuil pour aider les individus et leurs familles à mieux comprendre et naviguer dans les réactions émotionnelles complexes qui accompagnent souvent l’acquisition d’un handicap. Il a cherché à offrir un cadre qui aide les personnes handicapées et leurs proches à articuler et à gérer leurs expériences, facilitant ainsi le processus d’adaptation et de guérison émotionnelle.
Le modèle de Kübler-Ross, utilisé par Ken Moses, décrit cinq étapes de deuil : déni, colère, marchandage, dépression et acceptation.
Nous ajoutons l’étape de la sublimation, en tant qu’extension ou aspect du processus de deuil. La sublimation, en tant que concept psychologique, provient principalement de la psychanalyse. Elle a été développée par Sigmund Freud comme mécanisme de défense transformant les pulsions inacceptables en comportements socialement acceptables et même productifs. C’est ainsi que certaines personnes peuvent transformer leur douleur ou leur perte en résultats positifs, tels que l’engagement dans des activités artistiques, sociales ou collectives.
Etapes du deuil
Etape 1. Déni
Explication : initialement, la personne peut refuser de croire qu’elle a acquis un handicap, espérant que ce soit une erreur.
- Exemple : la personne peut insister sur le fait que les symptômes n’existent pas ou sont temporaires et que rien n’a changé ou qu’elle récupérera bientôt.
Etape 2. Colère
Explication : la personne réalise que le handicap est réel mais estime que c’est foncièrement injuste et elle ressent de la colère envers elle-même, et/ou le destin, les professionnels de santé, ou encore envers les proches et l’entourage professionnel.
- Exemple : la personne peut se montrer très fâchée non seulement contre les médecins qui n’ont pas su prévenir ou guérir son état mais aussi contre ses collègues et son Manager qui ne sont pas victimes du même malheur qu’elle.
Les étapes 1 (Déni) et 2 (Colère) sont au début du processus. Elles s’observent en général rapidement après la survenue du handicap, même s’il arrive qu’elles puissent durer plusieurs années. Dans la pratique, l’entourage professionnel y est plus rarement confronté parce que la personne n’est pas encore revenue au travail.
En revanche, l’étape 3 (Marchandage) se manifeste souvent dans le cadre professionnel où elle se repère facilement.
Etape 3. Marchandage
Explication : la personne essaye de négocier ou de trouver des moyens pour retarder ou atténuer l’impact du handicap, y compris par des procédés irrationnels.
- Exemple « négociation irrationnelle »
- Situation :
La personne qui a subi une perte auditive significative à la suite d’un accident veut négocier son retour à un poste qui nécessite une communication constante avec les clients, malgré les conseils médicaux suggérant que des rôles moins dépendants de l’acuité auditive seraient plus appropriés.
- Comportement de marchandage :
La personne propose de travailler des heures supplémentaires ou suggère une réduction de salaire si cela lui permet de conserver son poste actuel, même si cela n’atténue pas les défis réels liés à sa capacité réduite à communiquer efficacement.
- Exemple « promesses de changement de comportement »
- Situation :
Après avoir été diagnostiquée avec un trouble musculosquelettique qui limite sa mobilité, la personne promet de suivre des traitements physiques intensifs ou d’adopter des changements drastiques de mode de vie (comme une diète spéciale ou des exercices non recommandés par les professionnels de santé) dans la mesure où on la laisse garder ses responsabilités actuelles qui incluent des tâches physiquement exigeantes.
- Comportement de marchandage :
La personne insiste pour continuer à gérer des projets qui requièrent des déplacements fréquents ou des activités physiques, en affirmant qu’elle peut gérer la douleur et l’inconfort sans impacter sa performance.
- Exemple « recherche de solutions miraculeuses »
- Situation :
La personne devenue partiellement paralysée suite à une maladie veut retourner à son poste qui nécessite une utilisation intensive de l’informatique. Elle explore des solutions technologiques non vérifiées et coûteuses, en insistant pour que l’entreprise les finance, tout en promettant un retour à la productivité antérieure.
- Comportement de marchandage :
Malgré les recommandations pour des adaptations prouvées et soutenues par des ergothérapeutes, la personne insiste pour essayer des technologies expérimentales, espérant une guérison ou une restauration complète de ses capacités fonctionnelles.
Etape 4. Dépression
Explication : reconnaissant l’irréversibilité de sa situation, la personne peut ressentir une tristesse profonde, se replier sur elle-même, s’isoler ainsi que perdre tout intérêt pour ses activités habituelles, y compris celles qui lui procuraient un authentique plaisir.
- Exemple : la personne ne vient plus à la pause-café, s’enferme dans son bureau, évite les interactions sociales, néglige son apparence, se montre amère et irritable.
Etape 5. Acceptation
Explication : finalement, la personne commence à accepter son handicap et cherche des moyens de s’adapter et de vivre pleinement avec.
- Exemple : la personne utilise des aides techniques, participe à des groupes de soutien, retourne progressivement à ses activités, constate que sa vie ne se réduit pas à son handicap, qu’elle peut se projeter dans l’avenir et que la vie vaut d’être vécue.
Etape 6. Sublimation
- Dynamique « transformation créative »
- Explication : la personne transforme son expérience du handicap en une énergie pour se lancer dans des activités créatives ou artistiques.
- Exemple : la personne se met à développer une nouvelle gamme de produits adaptée aux consommateurs qui ont un handicap similaire au sien, trouvant ainsi un moyen d’expression et un réconfort émotionnel.
- Dynamique « engagement social ou activisme »
- Explication : la personne utilise son expérience pour s’engager dans une forme d’activisme ou dans un travail communautaire, notamment en cherchant à améliorer les conditions pour d’autres personnes en situation de handicap.
- Exemple : une personne ayant perdu la vue développe un partenariat militant entre son entreprise et des associations spécialisées dans la malvoyance ou la cécité, pour l’accessibilité et les droits des personnes handicapées.
- Dynamique « mentorat ou soutien aux autres »
- Explication : la personne apporte du soutien et des conseils à d’autres qui traversent des expériences similaires, ce qui lui permet de donner un sens à sa propre épreuve.
- Exemple : la personne se propose pour être Référente Handicap pour mettre sa propre expérience au service des autres et les aider.
Bonnes pratiques générales
Chaque étape induit un accompagnement approprié.
Etape 1. Déni
- Offrir un soutien immédiat : proposer à la personne des entretiens réguliers pour discuter de ses besoins et rester ouvert et disponible pour communiquer.
- Fournir des informations : indiquer à la personne où elle peut trouver des ressources informatives qui expliquent son handicap et ses impacts potentiels sur le travail et la vie quotidienne.
Etape 2. Colère
- Utiliser l’écoute active : offrir à la personne un espace « protégé » où elle peut exprimer ses frustrations et ses sentiments sans être jugée.
- Encourager l’expression : permettre à la personne de parler de son expérience et de ses ressentis, ce qui peut contribuer à gérer la colère et à prévenir les malentendus.
Etape 3. Marchandage
- Faire participer à la planification : impliquer la personne dans la planification de ses adaptations ou de ses nouvelles responsabilités, ce qui peut lui donner un sentiment de contrôle sur sa situation susceptible de l’aider à dépasser sa propension au marchandage.
- Proposer des alternatives : aider la personne à explorer différentes options pour adapter sa situation de travail, notamment quand la personne est arrêtée sur une demande impossible à satisfaire ou particulièrement contre-productive.
Etape 4. Dépression
- Assurer un soutien psychologique : encourager la personne à utiliser les services de soutien psychologique disponibles ou que vous avez mis à disposition, pour prévenir les accès de désespoir.
- Faire preuve de vigilance : surveiller de près le bien-être la personne et réagir rapidement dès que des aménagements supplémentaires semblent nécessaires.
Etape 5. Acceptation
- Renforcer la nouvelle image de soi : reconnaître les progrès de la personne et valoriser sa capacité à s’adapter à sa nouvelle réalité.
- Poursuivre le soutien : maintenir une attention régulière et offrir des opportunités de développement professionnel adaptées à la nouvelle situation de la personne.
- Aider à se projeter : s’appuyer sur cette nouvelle image de soi pour entraîner la personne dans des projets de plus longue haleine afin qu’elle s’inscrive plus fermement dans la dynamique de sa nouvelle vie.
Etape 6. Sublimation
- Encourager la contribution : permettre à la personne de partager son expérience pour sensibiliser les autres, ce qui peut être bénéfique pour elle-même et pour la politique RSE de l’entreprise.
- Promouvoir l’activisme : soutenir la personne dans ses activités militantes ou ses en faveur des Personnes en Situation de Handicap, ce qui peut transformer l’expérience personnelle en une cause plus grande et utile à l’entreprise.
Bonnes pratiques managériales
- Communication ouverte et empathique : encourager des discussions honnêtes et soutenues sur les capacités réelles de la personne, sans minimiser ou ignorer ses émotions.
- Orientation vers des solutions réalistes : guider la personne vers des adaptations de travail vérifiées et recommandées par des professionnels qualifiés – médecin, ergonome, psychologue… – et discuter des options qui peuvent être satisfaisantes et productives.
- Soutien continu : assurer un accompagnement rapproché en interne grâce au Référent Handicap ou en externe avec certaines prestations proposées par Cap emploi.