Les évaluations en formation professionnelle ou en enseignement supérieur sont conçues pour mesurer des compétences, des savoirs ou des aptitudes précises. Mais qu’advient-il lorsque le mode d’évaluation lui-même devient un obstacle ? Pour les personnes présentant un Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH), ou d’autres troubles cognitifs (troubles des fonctions exécutives, dyslexie, troubles mnésiques…), l’exercice évaluatif peut devenir un facteur de stress intense et un révélateur d’inégalités. Dans ce contexte, adapter les modalités d’évaluation n’est pas une faveur : c’est une condition d’équité. Cet article explore les impacts du TDAH et des troubles cognitifs sur les situations d’évaluation, les principes d’aménagements justes, et les leviers concrets à mobiliser pour garantir à chacun une évaluation fidèle à ses compétences.
Les effets du TDAH et autres troubles cognitifs sur les situations d’évaluation
Les personnes présentant un TDAH ou d’autres troubles cognitifs (dyslexie, troubles de la mémoire de travail, troubles des fonctions exécutives, etc.) peuvent rencontrer de nombreuses difficultés lors des évaluations, quels que soient le format ou le niveau de formation. Ces troubles altèrent des fonctions essentielles mobilisées dans toute situation d’évaluation : concentration, planification, traitement de l’information, gestion émotionnelle.
Evaluation écrite
En contexte d’évaluation écrite, les troubles de l’attention ou de la mémoire de travail peuvent entraîner des erreurs d’inattention (oublis, confusion dans les consignes, rédaction incomplète), ou un style décousu, difficile à suivre. La lenteur d’exécution, souvent liée à une surcharge cognitive, empêche parfois de terminer dans le temps imparti. Exemple : un stagiaire rédige un début de réponse pertinent mais n’a pas le temps d’achever sa démonstration.
Evaluation orale
Lors d’une évaluation orale, l’impulsivité ou l’anxiété peuvent perturber l’expression : certains parlent trop vite, s’éloignent du sujet, perdent le fil de leur argumentation ou présentent un discours désorganisé. D’autres, au contraire, bloquent ou peinent à répondre malgré une bonne maîtrise du contenu, à cause du stress lié à l’interaction directe.
Evaluation pratique
Dans les situations pratiques, comme les mises en situation ou les manipulations techniques, les difficultés à suivre plusieurs étapes dans un ordre précis, à gérer simultanément l’attention visuelle et verbale, ou à maintenir un niveau de vigilance stable, peuvent générer des erreurs malgré une bonne préparation.
Ces difficultés ne reflètent pas un manque de compétence ou de motivation, mais une inadéquation entre les exigences de l’évaluation et les capacités cognitives mobilisables à un instant donné. Sans adaptation, le risque est de sous-estimer les acquis ou les compétences réelles de l’apprenant.
Face à ces obstacles, une question centrale se pose : comment adapter les évaluations sans fausser les résultats ni avantager indûment certains candidats ? Cela nécessite une clarification des principes d’équité qui guident les aménagements pédagogiques.
Adapter ne signifie pas favoriser : principes d’équité
Egalité et équité
L’idée d’adapter une évaluation pour une personne avec TDAH ou un autre trouble cognitif suscite parfois des réticences : ne risque-t-on pas de lui accorder un avantage sur les autres ? Cette crainte repose sur une confusion fréquente entre égalité et équité. Traiter tout le monde de la même manière (égalité) ne garantit pas que chacun dispose réellement des mêmes chances de réussite. L’équité, en revanche, consiste à ajuster les conditions pour permettre à chacun de mobiliser pleinement ses compétences.
Adapter une évaluation ne signifie pas en abaisser les exigences, ni contourner les critères de réussite. Il s’agit de neutraliser les obstacles qui empêcheraient une personne d’exprimer ses acquis dans les conditions standard. Exemple : donner du temps supplémentaire ne revient pas à donner la réponse, mais à permettre à une personne dont la vitesse de traitement est plus lente de produire une réponse aussi complète et structurée que celle d’un autre candidat.
Ce que l’on cherche à compenser
Ce que l’on cherche à compenser, ce sont des limitations fonctionnelles : surcharge cognitive, lenteur d’accès aux informations, difficulté à traiter plusieurs consignes en même temps.
Ce que l’on ne modifie pas
Ce que l’on ne modifie pas, ce sont les objectifs pédagogiques, les compétences visées, les critères d’évaluation. Une personne évaluée sur un exposé oral restera jugée sur la clarté de son propos, sa rigueur et sa maîtrise du sujet — mais on pourra lui proposer de préparer une trame écrite à l’avance, ou de recevoir les consignes en amont.
Toute proportion gardée
Pour que l’adaptation reste juste, elle doit être proportionnée au besoin, cohérente avec le trouble repéré, et ne pas altérer la validité de l’épreuve. Il est donc essentiel que les équipes pédagogiques, et en particulier les évaluateurs, soient sensibilisés à ces enjeux : l’objectif n’est pas de niveler les exigences, mais de garantir que chacun puisse démontrer ses compétences dans des conditions réellement accessibles.
Ces principes d’équité posés, il convient maintenant d’interroger les différentes formes d’évaluation. Toutes ne présentent pas les mêmes contraintes, et certaines peuvent être plus compatibles avec les profils cognitifs atypiques.
Les formes d’évaluation à interroger
Les difficultés rencontrées par les personnes avec TDAH ou autres troubles cognitifs varient fortement selon le type d’évaluation. Chaque modalité présente des défis spécifiques qui peuvent nuire à la validité de l’épreuve si aucun aménagement n’est envisagé.
Evaluation écrite
L’évaluation écrite est souvent source de surcharge cognitive. Face à une consigne complexe, l’apprenant peut peiner à organiser sa réponse, perdre du temps à reformuler mentalement la tâche attendue, ou oublier une partie de la question. La gestion du temps est un obstacle fréquent : les adultes avec TDAH peuvent consacrer un temps disproportionné à un détail, puis manquer de temps pour traiter l’ensemble. Le stress généré par le cadrage temporel aggrave encore ces effets, en bloquant la mobilisation des compétences acquises.
Evaluation orale
L’évaluation orale, souvent perçue comme plus spontanée, pose d’autres problèmes : le stress de performance, combiné à une vitesse de traitement ralentie ou une impulsivité verbale, peut entraîner des réponses désorganisées, incomplètes ou hors sujet. Certains apprenants éprouvent des difficultés à structurer leurs idées à l’oral, notamment s’ils n’ont pas eu accès aux consignes à l’avance ou s’ils ne disposent pas d’un plan visuel de soutien.
Evaluation pratique
L’évaluation pratique, quant à elle, mobilise souvent plusieurs compétences en simultané : compréhension d’une consigne complexe, réalisation d’une tâche en temps limité, adaptation à un environnement physique ou à des interactions. Les situations multitâches sont particulièrement éprouvantes pour les personnes avec un TDAH, dont la mémoire de travail et la capacité d’attention sont sollicitées à leur maximum.
Evaluations alternatives
À l’inverse, les évaluations modulaires, progressives ou centrées sur l’observation peuvent s’avérer plus accessibles. Par exemple, un travail guidé en plusieurs étapes avec des feedbacks intermédiaires permet à l’apprenant de se recentrer, d’ajuster ses réponses, et de faire preuve de ses compétences réelles. De même, les évaluations en conditions authentiques (mise en situation professionnelle, portfolio, autoévaluation) offrent un cadre plus souple, mieux adapté aux profils cognitifs atypiques.
Il ne s’agit pas de généraliser une forme d’évaluation « idéale », mais de réfléchir à la compatibilité entre le mode d’évaluation et les besoins cognitifs de l’apprenant, sans transiger sur les compétences attendues.
Exemples d’aménagements possibles sans diagnostic
En fonction du type d’évaluation et des difficultés repérées, différents aménagements peuvent être envisagés, y compris en l’absence de diagnostic formel. Voici quelques pistes d’action concrètes à mobiliser.
Adapter les modalités d’évaluation ne nécessite pas obligatoirement un diagnostic médical ou une reconnaissance administrative du handicap. En formation professionnelle ou en établissement d’enseignement supérieur, des ajustements peuvent être mis en œuvre à titre pédagogique, dès lors que des besoins spécifiques sont repérés. Ces aménagements visent à réduire les obstacles à l’expression des compétences, sans modifier le niveau d’exigence.
Allongement du temps de passation
Accorder 25 % de temps supplémentaire est une mesure fréquente, utile lorsque l’apprenant a besoin de relire plusieurs fois une consigne ou de réorganiser mentalement sa réponse. Ce temps permet de compenser une vitesse de traitement ralentie ou des moments de dispersion attentionnelle.
Reformulation des consignes
Reformuler une consigne de manière plus explicite ou plus progressive peut clarifier les attendus sans altérer l’évaluation. Par exemple, transformer une consigne dense (« En 20 minutes, analysez les causes et conséquences de… ») en plusieurs étapes : « Étape 1 : identifiez les causes ; Étape 2 : proposez deux conséquences. »
Support papier + oral
Associer la lecture écrite à une présentation orale de la consigne favorise la compréhension, notamment lorsque la mémoire de travail est fragile. Cela permet aussi à l’apprenant de valider ce qu’il a compris avant de commencer.
Autorisation de pauses encadrées
Dans les évaluations longues, prévoir des pauses de recentrage permet de limiter l’agitation ou la perte d’attention. Ces pauses peuvent être encadrées dans le temps (ex. : 5 minutes toutes les 30 minutes) et clairement signalées.
Présentation visuelle des informations
Utiliser des tableaux, des puces, des pictogrammes ou des encadrés pour structurer les éléments clés d’une consigne ou d’un sujet réduit la charge cognitive. Cela aide l’apprenant à hiérarchiser les priorités et à se repérer dans sa production.
Évaluation différée ou en plusieurs temps
Scinder l’évaluation en plusieurs étapes (par exemple, un travail préparatoire puis une restitution) permet à l’apprenant de mieux organiser ses idées. Cette modalité peut également inclure des feedbacks intermédiaires pour favoriser l’auto-ajustement.
Spécificité des évaluations de groupe et coopératives
Dans certains cas, l’évaluation collective peut mettre en difficulté un apprenant avec TDAH : manque de tour de parole, sentiment de ne pas contribuer efficacement, désorganisation du groupe. Prévoir des rôles définis, des supports visuels partagés ou des temps de débriefing individuel peut rendre ces évaluations plus inclusives.
Ces aménagements relèvent d’une logique pédagogique inclusive. Ils peuvent bénéficier à tous les apprenants, sans stigmatiser ceux pour qui ces ajustements sont essentiels. Leur mise en œuvre suppose une concertation au sein de l’équipe pédagogique, et peut être encadrée par le Référent Handicap lorsqu’il est présent dans la structure.
La réussite de ces aménagements repose sur une mise en œuvre concertée, ancrée dans un dialogue ouvert entre les acteurs de la formation. Qui peut porter cette démarche ? Et comment s’assurer qu’elle reste équilibrée et pertinente ?
Comment mettre en œuvre une démarche d’adaptation ?
La mise en place d’aménagements d’évaluation nécessite une approche concertée et contextualisée. Le Référent Handicap, lorsqu’il est présent, joue un rôle pivot : il peut recueillir les besoins de l’apprenant, formuler des propositions d’ajustement et assurer la cohérence entre les exigences pédagogiques et les capacités spécifiques. De son côté, le formateur ou le responsable pédagogique reste décisionnaire sur les modalités d’évaluation, mais gagne en pertinence s’il est sensibilisé aux impacts du TDAH ou d’autres troubles cognitifs.
Le dialogue avec l’apprenant est fondamental : il permet de coconstruire des solutions adaptées, sans jugement ni infantilisation, et de s’assurer que les aménagements proposés répondent réellement à ses besoins. Cette démarche, fondée sur l’écoute et la flexibilité, renforce la confiance et favorise une évaluation plus juste, sans discrimination ni surcompensation.
Conclusion
Adapter les évaluations pour les personnes avec TDAH ou d’autres troubles cognitifs, c’est reconnaître que la performance ne dépend pas uniquement des compétences, mais aussi des conditions dans lesquelles elles sont mobilisées. Cette approche inclusive ne vise pas à abaisser le niveau d’exigence, mais à garantir une égalité réelle d’accès à la réussite. Elle implique une vigilance pédagogique, une connaissance des troubles, mais surtout une volonté partagée de faire évoluer les pratiques. En agissant sur les modalités d’évaluation, les organismes de formation et les formateurs renforcent la justice éducative, tout en valorisant les ressources réelles des apprenants, souvent invisibilisées par des formats standards. C’est le rôle du Référent Handicap d’animer cette dynamique.
Bibliographie
Tous à l’école – Rendre l’école accessible – « Evaluation : principes et démarches »
Questions-Réponses
Peut-on adapter une évaluation sans diagnostic officiel ?
Dans un cadre strictement pédagogique, certains ajustements peuvent être proposés à titre temporaire pour faciliter l’apprentissage, tant qu’ils n’affectent pas les critères d’évaluation. En revanche, pour toute évaluation donnant lieu à un diplôme ou une certification, des aménagements officiels ne peuvent être accordés qu’avec un justificatif médical, fourni généralement par un médecin scolaire, universitaire, du travail ou agréé, ou encore un neuropsychologue. Cela garantit la conformité juridique et l’équité entre les candidats.
Adapter l’évaluation donne-t-il un avantage à l’apprenant ?
Non. L’adaptation vise à compenser un obstacle cognitif, pas à baisser les exigences. Elle permet à l’apprenant de démontrer ses compétences dans des conditions équitables, sans créer d’inégalité vis-à-vis du groupe.
Quels aménagements sont possibles pour une personne avec TDAH ?
Parmi les plus fréquents : temps supplémentaire, reformulation des consignes, pauses encadrées, support visuel et oral combiné, ou encore évaluation en plusieurs temps.
Qui décide de l’adaptation de l’évaluation dans un organisme de formation ?
Pour une évaluation formative ou intermédiaire, les ajustements peuvent être décidés par l’équipe pédagogique en concertation avec le Référent Handicap. En revanche, pour toute évaluation certifiante ou diplômante, l’aménagement doit reposer sur un avis médical et respecter les règles du certificateur. Le formateur ou jury applique ensuite les modalités validées dans ce cadre réglementaire.
Quels types d’évaluations sont plus accessibles pour les personnes avec des troubles cognitifs ?
Les évaluations modulaires, progressives ou en conditions réelles (portfolio, mises en situation, travaux guidés) sont souvent plus inclusives que les épreuves longues, écrites ou orales en temps limité.