Dans la fonction publique, les politiques de maintien dans l’emploi vs prévention de la désinsertion professionnelle (PDP) occupent une place croissante dans les stratégies RH. Mais si ces deux démarches partagent un objectif commun — éviter l’exclusion du monde du travail des agents confrontés à des problèmes de santé — elles reposent pourtant sur des logiques, des temporalités et des dispositifs distincts.
Le maintien dans l’emploi s’inscrit historiquement dans une réponse individuelle à une situation de travail problématique. Il intervient souvent en réaction à une alerte médicale ou à un arrêt prolongé. À l’inverse, la prévention de la désinsertion professionnelle adopte une approche plus globale, plus précoce et plus systémique, visant à anticiper les ruptures de parcours avant qu’elles ne deviennent irréversibles.
Dans un contexte de vieillissement des effectifs, d’augmentation des pathologies chroniques et de complexification des parcours professionnels, les employeurs publics doivent désormais articuler ces deux logiques pour construire une gestion durable de la santé au travail. Cela suppose de clarifier les périmètres d’action, les cadres juridiques, les acteurs mobilisables et les marges de progrès existantes.
Cet article propose d’explorer les différences entre maintien dans l’emploi et prévention de la désinsertion professionnelle, tout en mettant en lumière les points de convergence et les leviers d’articulation possibles dans les fonctions publiques d’État, territoriale et hospitalière.
Pour mieux comprendre ces dynamiques, il est essentiel de revenir d’abord sur la notion de maintien dans l’emploi, dans ce qu’elle a de plus concret et opérationnel.
Définir le maintien dans l’emploi
Le maintien dans l’emploi désigne l’ensemble des démarches mises en œuvre pour permettre à un salarié ou à un agent de conserver son activité professionnelle, grâce à des aménagements prenant en compte ses limitations fonctionnelles ou ses besoins spécifiques liés à son état de santé ou son handicap. Il ne s’agit pas de « faire malgré » une difficulté, mais de créer les conditions concrètes permettant à la personne de continuer à exercer tout ou partie de ses missions, dans un cadre sécurisé, durable et adapté.
Concrètement, le maintien dans l’emploi peut induire de multiples actions très diverses : un aménagement plus ergonomique du poste, un réaménagement des horaires, une modification de l’organisation du travail, ou encore un changement d’affectation sur un poste compatible avec l’état de santé de la personnes.
Dans la fonction publique, ces ajustements sont toujours menés dans le respect du statut de l’agent, des exigences du service et de la législation sur le handicap, notamment l’obligation d’emploi des Travailleurs Handicapés (OETH) et le principe de l’aménagement raisonnable.
De plus, ces démarches s’inscrivent souvent dans un cadre formalisé impliquant le médecin de prévention, le Référent Handicap, les services RH et bien sûr l’agent concerné. L’objectif est double : éviter une situation d’inaptitude ou de rupture professionnelle, et préserver les compétences internes de l’administration. Le maintien dans l’emploi n’est pas une réponse exceptionnelle, mais une action de droit commun favorisant une gestion inclusive des ressources humaines.
Mais intervenir une fois la difficulté installée n’est pas toujours suffisant : d’où la nécessité d’une approche complémentaire, plus en amont, que constitue la prévention de la désinsertion professionnelle.
Définir la prévention de la désinsertion professionnelle (PDP)
La prévention de la désinsertion professionnelle (PDP) désigne l’ensemble des actions mises en place le plus en amont possible pour éviter qu’un problème de santé ne conduise un agent public à un éloignement durable, voire définitif, de l’emploi. Là où le maintien dans l’emploi intervient lorsqu’une difficulté est déjà identifiée, la PDP agit en anticipation, dès les premiers signes de vulnérabilité, en mobilisant plutôt une logique de prévention secondaire que tertiaire.
Elle concerne notamment les agents en arrêt maladie de longue durée, en ALD (Affection de Longue Durée) ou en situation de fragilité médicale récurrente, pour lesquels une reprise d’activité pourrait être compromise si aucune démarche de réintégration n’est envisagée. La PDP s’attache alors à préparer le retour au travail dans de bonnes conditions, à prévenir les ruptures de parcours professionnels et à éviter la spirale de la désinsertion (perte de lien avec le collectif, perte de compétences, perte d’identité professionnelle).
Elle mobilise des outils spécifiques : visites de pré-reprise, rendez-vous de liaison, bilans de situation, essais encadrés, recours au dispositif de reclassement ou à l’aménagement transitoire de poste. La PDP suppose une coopération étroite entre les acteurs de santé au travail, les services RH, le médecin de prévention, les managers et l’agent lui-même.
Ainsi, la prévention de la désinsertion professionnelle constitue une approche proactive : elle vise à éviter qu’une situation de santé ne devienne une cause de rupture avec l’activité, en créant les conditions d’un accompagnement progressif et coordonné.
Des objectifs communs, mais des temporalités différentes
Cette distinction dans les temporalités d’intervention illustre la complémentarité entre les deux démarches. Encore faut-il en préciser les contours.
Le maintien dans l’emploi et la prévention de la désinsertion professionnelle partagent un objectif fondamental : éviter l’exclusion du monde du travail pour raisons de santé. Toutefois, ils se distinguent par leur temporalité d’intervention et par leur positionnement dans le parcours de l’agent.
Le maintien dans l’emploi intervient lorsque les limitations de santé sont identifiées, connues et stabilisées. Il s’agit alors d’adapter la situation de travail pour permettre à l’agent de poursuivre son activité professionnelle, dans son poste ou dans un poste équivalent, grâce à des aménagements raisonnables.
La PDP, en revanche, agit plus en amont : elle s’adresse à des agents en situation de fragilisation professionnelle, souvent encore en arrêt de travail ou en phase de retour. Elle suppose une démarche anticipatrice, fondée sur la détection précoce des signaux de désinsertion (arrêts répétés, inaptitudes temporaires, difficultés d’adaptation) et la mobilisation rapide des dispositifs d’accompagnement.
Autrement dit, la PDP vise à empêcher que le maintien dans l’emploi ne devienne impossible par manque d’anticipation. Elle permet d’éviter des ruptures évitables (arrêt longue durée, inaptitude définitive, reclassement subi) en agissant sur les causes avant qu’elles ne produisent leurs effets.
Ces différences de temporalité s’appuient également sur des cadres d’intervention distincts, que le droit encadre différemment dans la fonction publique.
Des cadres juridiques distincts mais complémentaires dans la fonction publique
Dans la fonction publique, le maintien dans l’emploi et la prévention de la désinsertion professionnelle reposent sur des cadres juridiques différenciés, bien que complémentaires.
Le maintien dans l’emploi est encadré par l’obligation légale de l’administration de préserver la capacité professionnelle de ses agents, en lien avec la réglementation sur l’obligation d’aménagement raisonnable (issue notamment de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005). Cette obligation s’impose dès lors que l’agent acquiert le statut administratif de travailleur handicapé, grâce à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), pension d’invalidité ou autre, ou lorsqu’un avis médical, en lien avec la médecine de prévention, justifie des restrictions d’aptitude. Le cadre juridique s’appuie sur plusieurs leviers : aménagement du poste, reclassement statutaire, télétravail pour raison de santé, etc.
La prévention de la désinsertion professionnelle, quant à elle, est une notion transversale qui ne dispose pas d’un corpus juridique autonome. Elle s’inscrit dans une démarche d’anticipation et mobilise une pluralité d’acteurs (médecine de prévention, assistants sociaux, référents handicap, conseillers mobilité-carrière). Elle repose sur l’application de principes plus larges : prévention des risques professionnels, politique RH de qualité de vie au travail, mobilisation du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP).
Ainsi, le maintien dans l’emploi découle d’une obligation, tandis que la PDP relève d’une stratégie RH volontariste, encouragée par les politiques publiques mais non encore encadrée par un droit spécifique.
| Critère | Maintien dans l’emploi | Prévention de la désinsertion pro |
| Objectif | Éviter la rupture du contrat | Éviter l’entrée dans une spirale de rupture |
| Temporalité | Curative ou corrective | Préventive et anticipatrice |
| Acteurs principaux | RH, médecin, Référent Handicap | SST, encadrants, assistantes sociales… |
| Public cible | Agents en situation de handicap ou d’inaptitude | Agents fragilisés, malades, en tension |
| Cadre juridique | RQTH, aménagement raisonnable | Plans santé au travail, dispositifs expérimentaux |
Une articulation encore floue dans les pratiques de terrain
Si les fondements juridiques sont aujourd’hui relativement clarifiés, la mise en œuvre concrète reste encore très inégale selon les contextes et les structures.
Si le maintien dans l’emploi et la prévention de la désinsertion professionnelle sont souvent présentés comme complémentaires, leur articulation sur le terrain reste peu lisible, voire confuse, dans de nombreuses structures publiques.
En pratique, les acteurs RH, les encadrants de proximité, les référents handicap ou encore les conseillers de prévention ne disposent pas toujours d’un cadre d’action partagé. Les démarches restent souvent segmentées : on intervient sur un reclassement lorsque la situation est déjà dégradée, mais trop rarement en amont, pour anticiper l’émergence de difficultés professionnelles liées à la santé. Les processus sont déclenchés tardivement, parfois après plusieurs mois d’arrêts de travail, ou à l’issue d’un avis d’inaptitude du médecin de prévention.
De plus, la frontière entre ce qui relève d’un aménagement de poste pérenne (dans le cadre du maintien dans l’emploi) et d’une action de prévention temporaire ou adaptative (dans le cadre d’une PDP) est rarement formalisée dans les outils internes. Il en résulte un manque de lisibilité pour les agents concernés, mais aussi pour les encadrants et les équipes RH, qui peinent à identifier les bons interlocuteurs ou les bons leviers à activer.
La confusion est d’autant plus forte que les circuits de décision sont souvent différents selon les ministères, les collectivités ou les établissements publics, faute d’un cadre harmonisé à l’échelle de la fonction publique. Ce flou nuit à la cohérence des parcours professionnels, et peut renforcer le sentiment d’isolement ou d’injustice chez les agents concernés. Ces difficultés d’articulation ne sont pas une fatalité. Elles soulignent, au contraire, l’opportunité de développer une stratégie plus efficiente et coordonnée au bénéfice de tous.
Un enjeu d’efficience collective et de continuité du service public
Dans la fonction publique, améliorer l’articulation entre maintien dans l’emploi et prévention de la désinsertion professionnelle ne relève pas seulement d’une obligation réglementaire ou d’un principe d’égalité de traitement : c’est aussi un levier d’efficience collective. Anticiper les situations de fragilité professionnelle permet de réduire les interruptions de carrière, de maintenir les compétences dans les équipes, et de limiter les coûts liés à l’absentéisme, aux reclassements tardifs ou à la désorganisation des services.
Des marges de progrès existent. Il est par exemple possible de développer une culture commune de la prévention, en favorisant les échanges entre les acteurs RH, les encadrants, les médecins de prévention, les assistants de service social, les conseillers de prévention et les référents handicap. Mieux partager les signaux faibles, croiser les expertises et instaurer des circuits de communication plus fluides sont autant de pistes pour agir plus tôt, plus collectivement, et plus efficacement.
En ce sens, la mise en œuvre de démarches structurées de maintien dans l’emploi peut devenir une opportunité de montée en qualité pour l’ensemble du service public. Elle offre un cadre pour renforcer l’attractivité des métiers, soutenir les parcours professionnels des agents, et garantir une meilleure continuité de service auprès des usagers. Ce changement de perspective suppose un engagement progressif, mais porteur de bénéfices pour tous les acteurs concernés.
Conclusion
Une meilleure coordination entre ces deux approches constitue donc un levier stratégique, à la fois pour la santé des agents et pour la performance du service public. Maintien dans l’emploi et prévention de la désinsertion professionnelle ne doivent pas être perçus comme deux démarches concurrentes, mais comme deux volets complémentaires d’une politique de santé au travail ambitieuse et inclusive dans la fonction publique. Le maintien dans l’emploi offre des solutions concrètes à des situations individuelles de fragilité, tandis que la PDP vise à structurer une réponse collective et préventive pour éviter que ces situations ne surviennent ou ne s’aggravent.
Aujourd’hui, les employeurs publics disposent d’un cadre réglementaire de plus en plus clair, de dispositifs d’accompagnement renforcés, et d’une légitimité accrue pour agir de manière proactive. En s’appuyant sur une collaboration étroite entre les services RH, les médecins de prévention, les conseillers de prévention, les assistants sociaux, les référents handicap et les encadrants, il devient possible de construire une culture partagée de la prévention.
Clarifier les concepts, former les acteurs, articuler les outils et décloisonner les interventions sont autant de leviers à mobiliser pour faire évoluer les pratiques. Car anticiper la désinsertion professionnelle, c’est non seulement préserver les parcours des agents, mais aussi renforcer l’efficience et la qualité de service des institutions publiques.
Questions-Réponses
Quelle est la différence entre maintien dans l’emploi et prévention de la désinsertion professionnelle (PDP) ?
Le maintien dans l’emploi intervient lorsqu’un agent présente déjà des limitations de santé nécessitant un aménagement du poste ou un reclassement. La PDP, quant à elle, vise à anticiper les ruptures de parcours avant qu’elles ne surviennent, en agissant dès les premiers signes de fragilisation (arrêts répétés, situation à risque, difficulté de reprise). Ces deux approches sont complémentaires.
Faut-il un avis médical pour déclencher une démarche de maintien dans l’emploi ?
Oui, dans la fonction publique, un avis médical du médecin de prévention ou une reconnaissance administrative du handicap (RQTH, invalidité, etc.) est généralement nécessaire pour activer des dispositifs formels d’aménagement ou de reclassement. Toutefois, des ajustements temporaires peuvent parfois être mis en œuvre à titre pédagogique en amont.
Quels sont les acteurs impliqués dans la prévention de la désinsertion professionnelle ?
La démarche de PDP mobilise plusieurs acteurs : les services RH, les médecins de prévention, les encadrants, les assistants sociaux, les conseillers de prévention et, dans certains cas, les Référents Handicap. Le succès de la démarche repose sur une coopération étroite entre ces intervenants, avec une attention particulière portée à l’anticipation.
Comment les employeurs publics peuvent-ils mieux articuler maintien dans l’emploi et PDP ?
En instaurant des circuits de communication clairs, en formant les encadrants à la détection des signaux faibles, et en coordonnant les interventions entre acteurs RH, SST et services sociaux. Une meilleure articulation passe aussi par la formalisation d’outils de suivi, l’instauration de rendez-vous réguliers, et une stratégie globale de qualité de vie au travail.
La prévention de la désinsertion professionnelle est-elle obligatoire dans la fonction publique ?
La PDP ne fait pas encore l’objet d’une obligation légale spécifique, mais elle est fortement encouragée dans le cadre des politiques publiques de santé au travail (Plans santé au travail, circulaires ministérielles, recommandations du FIPHFP). Elle constitue un levier d’anticipation stratégique pour préserver les parcours et garantir la continuité du service public.

