Dans la fonction publique, le maintien dans l’emploi et la prévention de la désinsertion professionnelle constituent des priorités croissantes pour les employeurs publics confrontés à l’augmentation des pathologies chroniques, à l’usure professionnelle, au vieillissement des effectifs et aux obligations réglementaires en matière de handicap. Pourtant, la manière dont ces politiques sont mises en œuvre varie fortement d’un versant à l’autre : entre administration d’État, collectivités territoriales et établissements hospitaliers, les logiques d’action, les outils mobilisés, les marges de manœuvre RH et les réseaux d’acteurs diffèrent sensiblement.
Ces différences tiennent à l’organisation statutaire, au degré de décentralisation, à la taille des structures ou encore à la disponibilité des expertises (médecine préventive, appui RH, accompagnement social). Il devient donc essentiel de comparer ces approches, d’en identifier les spécificités et les convergences, et de mieux comprendre les leviers disponibles selon les contextes.
Cet article propose une analyse comparative des politiques de maintien dans l’emploi dans les trois versants de la fonction publique. Il met en lumière les cadres réglementaires communs, les dispositifs opérationnels spécifiques, les freins rencontrés, mais aussi les bonnes pratiques reproductibles qui peuvent inspirer une harmonisation progressive au service d’une prévention plus efficace et plus équitable.
Avant d’examiner les spécificités propres à chaque versant, il convient de rappeler les principes communs qui structurent les politiques de maintien dans l’emploi dans l’ensemble de la fonction publique.
Un socle commun à l’ensemble des versants
Malgré leurs différences de structure, d’organisation et de moyens, les trois versants de la fonction publique — État, Territoriale, Hospitalière — partagent un socle juridique et déontologique commun en matière de maintien dans l’emploi. Ce socle repose sur des principes transversaux, inscrits dans les textes de loi et rappelés par les instructions nationales, qui encadrent la prise en compte des agents en situation de fragilité professionnelle liée à la santé.
Les principes partagés sont clairs :
- Obligation d’aménagement raisonnable pour les agents en situation de handicap ou présentant des limitations fonctionnelles durables ;
- Prévention de l’inaptitude, qui ne doit être ni banalisée ni subie, mais évitée autant que possible par des actions préventives ;
- Droit au reclassement lorsqu’un agent devient inapte à son poste, dès lors que cette inaptitude est médicalement constatée ;
- Principe de non-discrimination à raison de l’état de santé ou du handicap, affirmé notamment par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005.
Ces principes sont articulés à un corpus de textes juridiques communs :
- La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, qui impose notamment l’aménagement raisonnable et l’obligation d’emploi des Travailleurs Handicapés (OETH) dans la fonction publique ;
- La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, qui réaffirme la nécessité d’une gestion des ressources humaines plus individualisée, et promeut les politiques de qualité de vie au travail (QVT) et de prévention des risques psychosociaux (RPS) ;
- Les circulaires et guides de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), ou encore les plans santé au travail interministériels, qui définissent des orientations partagées.
Sur le terrain, les acteurs impliqués dans le maintien dans l’emploi sont également communs aux trois versants, même si leur positionnement peut varier :
- Le médecin de prévention, garant du lien entre santé et activité professionnelle, qui formule des préconisations dans le respect du secret médical ;
- Le référent handicap, nommé par chaque administration publique conformément à l’article L. 131-9 du code général de la fonction publique. Ce référent est chargé d’accompagner les agents en situation de handicap tout au long de leur carrière et de coordonner les actions menées en leur faveur par leur employeur notamment en matière d’insertion professionnelle et de maintien dans l’emploi..
- L’assistant de service social, qui évalue les situations de fragilité globale, croisant sphères personnelle, sociale et professionnelle ;
- Le conseiller de prévention, impliqué dans l’analyse des risques professionnels et la promotion de la santé au travail.
À ces acteurs s’ajoute le médecin agréé, mobilisé dans des cas spécifiques : retraite pour invalidité, reclassement inter-fonctions publiques, ou validation d’une inaptitude définitive. Bien que moins présent dans la prévention au quotidien, il intervient ponctuellement lorsque les procédures administratives l’exigent.
Ainsi, au-delà des disparités de moyens ou de fonctionnement entre les versants, le cadre de référence est commun et engage tous les employeurs publics à inscrire le maintien dans l’emploi dans une logique de droit commun, non comme une exception, mais comme un levier de gestion durable des ressources humaines.
Si ce socle commun crée un cadre de référence partagé, sa mise en œuvre varie fortement selon les contextes organisationnels. La fonction publique de l’État se caractérise par une gouvernance centralisée et des dispositifs souvent complexes à décliner au niveau local.
Les spécificités de la fonction publique de l’État (FPE)
Dans la fonction publique de l’État (FPE), les politiques de maintien dans l’emploi sont mises en œuvre dans une grande diversité de structures : administrations centrales, rectorats, préfectures, services déconcentrés, établissements publics à caractère administratif ou scientifique. Cette diversité institutionnelle cohabite avec une gouvernance fortement hiérarchisée et centralisée, qui peut freiner certaines initiatives locales en matière de prévention de la désinsertion professionnelle.
La gestion des ressources humaines y est souvent normée par des textes internes à chaque ministère (notes de service, circulaires, référentiels ministériels), sous l’impulsion de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). Celle-ci joue un rôle structurant à l’échelle interministérielle, notamment via la diffusion de guides pratiques, le pilotage des plans santé au travail, ou encore l’accompagnement de démarches expérimentales (ex. : cellule maintien dans l’emploi dans les rectorats).
La médecine de prévention, obligatoire mais chroniquement sous-dotée dans la FPE, est souvent externalisée (médecins vacataires ou prestataires privés), ce qui limite sa continuité et sa capacité d’intervention proactive. Le nombre de visites périodiques est insuffisant pour couvrir tous les agents à échéance réglementaire, et les visites de pré-reprise restent encore trop peu mobilisées en amont des situations critiques.
Autre spécificité : les comités médicaux départementaux (CM), pourtant chargés de rendre des avis sur l’aptitude et les congés pour raison de santé, n’examinent pas systématiquement les situations des agents contractuels, qui représentent une part croissante des effectifs. Cela crée une inégalité de traitement selon le statut, compliquant la coordination des acteurs.
Enfin, le reclassement dans la FPE demeure complexe, notamment en raison du cloisonnement entre corps et ministères. Il est souvent difficile pour un agent inapte à son poste de trouver un emploi compatible dans une autre entité administrative, en l’absence de passerelles statutaires ou de dispositifs de mobilité accompagnée.
Malgré une doctrine partagée au niveau central, les pratiques locales restent très hétérogènes, et la prévention de la désinsertion professionnelle dépend encore largement de l’implication des acteurs de terrain : référents handicap, responsables RH, encadrants sensibilisés.
À l’inverse, la fonction publique territoriale repose sur une logique décentralisée. L’autonomie des collectivités locales, alliée à la diversité de leur taille, façonne des modalités d’action très contrastées en matière de maintien dans l’emploi.
Les spécificités de la fonction publique territoriale (FPT)
La fonction publique territoriale (FPT) se distingue par la grande diversité de ses employeurs : communes, départements, régions, établissements publics intercommunaux, etc. Chaque collectivité dispose d’une autonomie de gestion dans l’organisation de ses ressources humaines, ce qui entraîne une hétérogénéité forte dans les politiques de maintien dans l’emploi.
Un acteur clé accompagne les collectivités, en particulier les plus petites : le Centre de gestion (CDG). Il propose une mutualisation des moyens, notamment pour la médecine de prévention, dont l’accès reste inégal selon la taille des collectivités. Les CDG peuvent également assurer un rôle de conseil statutaire et intervenir en appui pour des procédures de reclassement ou de mobilité professionnelle, en lien avec les agents déclarés inaptes à leurs fonctions.
L’une des difficultés majeures réside dans la disparité des moyens entre une petite commune rurale et une grande métropole. Là où certaines collectivités disposent de services RH structurés et de dispositifs de maintien formalisés, d’autres peinent à identifier les leviers existants ou à mobiliser les partenaires institutionnels.
Dans ce contexte, l’articulation avec les partenaires extérieurs — notamment le FIPHFP pour le financement des aménagements, Cap emploi pour l’accompagnement individualisé, ou encore les services de santé au travail des CDG — devient déterminante.
La fonction publique hospitalière présente, quant à elle, des caractéristiques spécifiques liées à la continuité des soins, à l’intensité du travail et à une organisation en tension. Ces contraintes influencent fortement les capacités d’adaptation en cas de fragilité d’un agent.
Les spécificités de la fonction publique hospitalière (FPH)
La fonction publique hospitalière (FPH) regroupe les agents travaillant dans les établissements publics de santé, médico-sociaux et sociaux, tels que les hôpitaux, les EHPAD publics, les centres de soins spécialisés ou encore les instituts médico-éducatifs. Ces structures présentent des caractéristiques organisationnelles et humaines qui influencent directement la mise en œuvre des politiques de maintien dans l’emploi.
La permanence des soins (24h/24, 7j/7) impose des rythmes de travail atypiques, incluant les horaires décalés, les gardes, les nuits et les week-ends. Ces contraintes, cumulées à des conditions physiques souvent exigeantes (station debout prolongée, manutention de patients, environnement bruyant ou stressant), exposent les agents à une fatigue physique et psychique accrue. Les risques d’usure professionnelle, de troubles musculosquelettiques (TMS) ou de souffrance au travail y sont particulièrement élevés.
Dans ce contexte, la médecine du travail est généralement intégrée à l’établissement, ce qui favorise la proximité et la réactivité. Toutefois, de nombreux services sont confrontés à un sous-effectif médical chronique, avec des médecins du travail intervenant sur plusieurs sites ou à temps partiel. Cette réalité limite la capacité à mener des actions de prévention en continu, ou à anticiper les risques de désinsertion.
Le reclassement professionnel dans la FPH obéit à des règles spécifiques : il est souvent envisagé à l’intérieur même de l’établissement, par changement de service, d’horaires ou de type de poste. En effet, la mobilité interétablissements, bien qu’envisageable, reste complexe à mettre en œuvre pour des raisons statutaires, budgétaires ou organisationnelles. Le maintien dans l’emploi dépend donc en grande partie de la capacité de l’établissement à proposer des postes de reclassement en interne.
Par ailleurs, la FPH mobilise des instances statutaires particulières, telles que les commissions de réforme (consultées en cas d’inaptitude définitive, d’accident de service ou de maladie professionnelle) ou les conseils de discipline en cas de litige. La surveillance médicale renforcée est obligatoire pour certains postes à risques (bloc opératoire, imagerie, exposition aux agents biologiques…), ce qui constitue un levier potentiel de prévention.
Au-delà des caractéristiques propres à chaque versant, il est utile de comparer leurs marges de manœuvre respectives, tant du point de vue juridique qu’opérationnel.
Maintien dans l’emploi : quelles marges de manœuvre selon le versant ?
Les politiques de maintien dans l’emploi sont encadrées par des principes communs à l’ensemble des versants de la fonction publique. Pour autant, les marges de manœuvre réelles dont disposent les employeurs publics pour aménager les parcours et prévenir les ruptures professionnelles varient considérablement selon les ressources disponibles, les modalités de gestion RH et le contexte institutionnel.
Dans la fonction publique territoriale (FPT), l’un des leviers majeurs réside dans l’autonomie décisionnelle des collectivités. Une commune ou un centre de gestion (CDG) innovant peut mettre en place des dispositifs personnalisés (parcours de reconversion, accompagnement renforcé, mises en situation professionnelle adaptée), à condition d’en avoir la volonté politique et les moyens humains. Cette souplesse permet des expérimentations locales mais produit aussi des inégalités d’un territoire à l’autre, notamment entre petites communes rurales et grandes métropoles dotées de services RH structurés.
Dans la fonction publique de l’État (FPE), les marges d’action sont souvent contraintes par la complexité statutaire et la centralisation des décisions. Le reclassement d’un agent peut nécessiter un changement de corps, une mobilité interministérielle, voire une validation interministérielle. Ces procédures sont longues et parfois dissuasives. Cependant, certains ministères, comme celui de l’Éducation nationale ou des Finances, ont structuré une politique RH autour de la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT), avec des cellules de maintien dans l’emploi ou des référents internes mobilisables.
Dans la fonction publique hospitalière (FPH), la principale difficulté réside dans la rigidité organisationnelle et la pénurie de postes adaptés. Les besoins en effectifs sont tels que les marges d’ajustement sont faibles, surtout pour les soignants. Les établissements les plus avancés — notamment certains CHU — parviennent à mobiliser des ressources internes pour proposer des reclassements individualisés, mais cela reste l’exception.
Quel que soit le versant, la capacité d’aménagement du poste dépend fortement du niveau d’engagement de l’employeur, de la coopération entre acteurs (médecin de prévention, RH, référent handicap, encadrants) et du recours aux outils disponibles (FIPHFP, ergonomie, mobilité interne, tutorat). Les écarts de traitement ne sont donc pas seulement statutaires : ils relèvent aussi d’une culture managériale plus ou moins mature vis-à-vis du maintien dans l’emploi.
Malgré ces différences, des dynamiques de convergence émergent. Plusieurs leviers d’harmonisation peuvent être activés pour renforcer la cohérence et l’efficacité des politiques de maintien dans l’emploi à l’échelle de la fonction publique dans son ensemble.
Points de convergence et leviers d’harmonisation
Malgré les différences organisationnelles entre les trois versants de la fonction publique, de nombreux points de convergence apparaissent dès lors que l’on s’intéresse aux objectifs poursuivis : prévenir l’inaptitude, favoriser le maintien dans l’emploi, sécuriser les parcours professionnels des agents en situation de handicap ou confrontés à des problèmes de santé. Ces convergences peuvent être renforcées par des actions de mutualisation, d’harmonisation et de montée en compétence.
Des outils communs se développent, sous l’impulsion notamment du FIPHFP qui soutient financièrement les employeurs publics dans leurs démarches d’aménagement, de formation et de reclassement. Des référentiels communs ont été produits pour guider les pratiques, qu’il s’agisse des fiches actions pour les Référents Handicap, des guides sur les aménagements raisonnables, ou encore des outils d’évaluation de la soutenabilité des postes.
Les Plans régionaux pour l’insertion des personnes handicapées (PRITH) offrent également un cadre de coordination intéressant entre les employeurs publics, les opérateurs de droit commun (Cap emploi, MDPH, MDP, CDG) et les partenaires institutionnels (ARS, DREETS, rectorats). Ils permettent d’inscrire les politiques de maintien dans l’emploi dans une dynamique territoriale plus lisible et plus cohérente.
Par ailleurs, le déploiement d’une culture de la QVCT (qualité de vie et des conditions de travail), désormais inscrite dans les feuilles de route RH des employeurs publics, constitue un levier puissant pour mieux articuler prévention des risques, maintien dans l’emploi et performance des services. Cette culture passe par la formation des encadrants au repérage des signaux faibles, la professionnalisation des Référents Handicap, et l’inscription du maintien dans l’emploi dans les projets de service ou d’établissement.
Enfin, il est urgent de renforcer un pilotage partagé, capable d’articuler les niveaux local (employeurs publics), régional (PRITH, Cap emploi, ARS) et national (DGAFP, FIPHFP, Ministères). Sans cette coordination, les disparités territoriales risquent de s’accentuer et de nuire à l’égalité d’accès au service public… pour les agents eux-mêmes.
Conclusion
Si les trois versants de la fonction publique partagent un socle commun en matière de maintien dans l’emploi — obligations légales, logique d’aménagement raisonnable, rôle du médecin de prévention ou du référent handicap — la diversité des contextes organisationnels génère des pratiques hétérogènes, des marges de manœuvre inégales et parfois des écarts d’accompagnement pour des situations pourtant similaires.
La fonction publique territoriale bénéficie d’une certaine autonomie locale et de l’appui des centres de gestion, mais reste fragilisée par des disparités entre collectivités. La fonction publique d’État, plus centralisée, est confrontée à la complexité statutaire et à une médecine de prévention souvent externalisée. Quant à la fonction publique hospitalière, elle subit une pression opérationnelle forte et un manque chronique de ressources, en dépit d’un ancrage médical solide.
Pour progresser, il est indispensable de favoriser les échanges inter-versants, de mutualiser les outils, de professionnaliser les acteurs clés et de faire du maintien dans l’emploi une priorité stratégique. En développant une culture partagée de la prévention, les employeurs publics peuvent transformer les contraintes structurelles en leviers d’inclusion durable, au service des agents comme de la continuité du service public.
Questions – Réponses
Les droits en matière de maintien dans l’emploi sont-ils les mêmes dans les trois versants de la fonction publique ?
Les grands principes (aménagement raisonnable, reclassement, non-discrimination) sont communs aux trois versants. Toutefois, les modalités d’application varient selon les contextes organisationnels, les moyens disponibles et les circuits décisionnels propres à chaque versant.
Le médecin de prévention joue-t-il le même rôle dans tous les versants ?
Oui, ses missions réglementaires sont similaires, mais son positionnement diffère : dans la FPH, il est souvent intégré à l’établissement ; dans la FPE, il est souvent externalisé ; dans la FPT, il dépend le plus souvent des Centres de gestion. Cette organisation influe sur la réactivité et la proximité des interventions.
Quels sont les leviers spécifiques des Centres de gestion dans la FPT ?
Les CDG peuvent mutualiser la médecine préventive, accompagner les reclassements, mobiliser des dispositifs comme des bilans de maintien dans l’emploi. Leur rôle est particulièrement stratégique pour les petites collectivités.
Le reclassement est-il plus facile dans un hôpital que dans un ministère ?
Pas nécessairement. Dans la FPH, les mobilités interservices sont fréquentes, mais les postes adaptés peuvent manquer. Dans la FPE, les mobilités interministérielles sont juridiquement possibles, mais restent rares du fait de la rigidité statutaire. Chaque versant a ses propres contraintes.
Existe-t-il des ressources communes pour harmoniser les pratiques entre versants ?
Oui. Le FIPHFP, la DGAFP, les PRITH et les référentiels inter-fonctions publiques (guides, circulaires, formations) encouragent la diffusion de bonnes pratiques et le développement d’une culture partagée autour du maintien dans l’emploi.

