Comment évaluer un Travailleur Handicapé de façon équitable pour restaurer l’égalité des chances au regard de son handicap et sans donner l’impression qu’il est injustement favorisé par rapport à ses collègues ?
L’évaluation : de quoi parle-t-on et quels sont les enjeux ?
L’évaluation des personnes employées a pour objectif de mesurer leur performance, de déterminer leur adéquation avec les responsabilités de leur poste et d’identifier leurs besoins en formation ou en développement professionnel. Une évaluation efficace devrait être objective, basée sur des critères prédéfinis et adaptée aux fonctions spécifiques du poste. Elle devrait aussi servir à motiver les personnes grâce à des retours constructifs.
En quoi l’évaluation des Travailleurs Handicapés interroge-t-elle les pratiques ?
Une évaluation équitable, sur le principe de l’égalité des chances, doit tenir compte des diversités individuelles. En cas de handicap il faut tout d’abord que le médecin du travail ait déclaré la personne « apte » au poste. Si le médecin du travail ajoute des préconisations sur l’avis médical, l’employeur doit impérativement mettre en place « l’aménagement raisonnable ». Tant qu’il ne l’a pas fait, l’évaluation reste douteuse. Elle devient totalement injuste (et illégale) si elle confond les conséquences du handicap non compensées par un aménagement raisonnable possible et l’insuffisance professionnelle. Une personne dont la période d’essai serait interrompue en raison de compétences ou capacités défaillantes alors que l’aménagement préconisé par le médecin du travail n’a pas encore été mis en place ou de façon partielle, serait considérée sur le plan juridique comme victime d’une discrimination de même niveau que le traitement défavorable accordé à une personne sur la base de son apparence, sa race, son sexe, son âge, etc.
De façon cohérente avec le principe de l’aménagement raisonnable, il convient d’adapter l’évaluation. Les évaluations classiques peuvent ne pas prendre en compte les obstacles que rencontrent les Travailleurs Handicapés, tels que des barrières physiques, des problèmes de communication ou des limitations liées à un état de santé défaillant. Par exemple, une personne avec un handicap moteur peut rencontrer des difficultés à accomplir des tâches, non pas en raison d’un défaut de compétence, mais à cause de limitations physiques qu’aucun aménagement ne peut compenser. Nombre de maladies chroniques invalidantes peuvent altérer la productivité en cas de douleurs ou de fatigue intense.
Pour que l’évaluation soit juste et perçue comme telle, il est essentiel d’adopter une approche inclusive qui ajuste les méthodes d’évaluation en fonction des besoins spécifiques liés aux handicaps, en compromettant le moins possible la performance économique qui garantit la pérennité de l’entreprise. Cela peut inclure l’adaptation des objectifs, l’extension des délais, l’utilisation de technologies d’assistance, des conditions de travail particulières, etc. Il est également important de sensibiliser et former les collègues et les gestionnaires sur ces adaptations pour renforcer l’adhésion et éviter les perceptions de favoritisme.
Comment conjuguer évaluation et équité dans la pratique ?
Les exemples qui suivent visent à illustrer les limites entre une charge disproportionnée (donc un aménagement déraisonnable) et une évaluation adaptée.
Handicap visuel
- Charge disproportionnée : exempter complètement la personne de toutes responsabilités qui nécessitent la vision, même si des technologies ou des aides peuvent permettre l’accomplissement de ces tâches.
- Évaluation adaptée : renforcer le poste sur les tâches à forte valeur ajoutée que la personne peut réaliser facilement avec les technologies d’assistance et augmenter les délais pour les tâches qui induisent beaucoup de lenteur tout en diminuant leur volume rapporté au poste, constitue un aménagement raisonnable permettant une évaluation équitable.
Handicap auditif
- Charge disproportionnée : imposer que tous les systèmes de communication de l’entreprise, y compris les courriels, les logiciels de gestion, les systèmes de vidéoconférence et les interactions quotidiennes, soient entièrement équipés de technologies de traduction ou de transcription en langue des signes serait une charge disproportionnée à cause du coût de leur installation mais aussi de leur maintenance. De plus, cette mesure pourrait être excessive si la personne sourde travaille au sein d’une seule équipe ou dans un département où des adaptations moins invasives et plus ciblées peuvent suffire.
- Évaluation adaptée : faire venir si besoin des interprètes en langue des signes ou utiliser des services de visio-interprétation ou des logiciels de transcription en temps réel ou des tablettes où les notes peuvent être écrites et partagées instantanément pour les réunions et les situations d’évaluation correspond à un aménagement raisonnable permettant une évaluation équitable.
Trouble du Spectre Autistique (TSA)
- Charge disproportionnée : créer des conditions d’évaluation qui altèrent fondamentalement la nature du poste ou les exigences essentielles de l’emploi. Par exemple, une personne autiste travaille comme Responsable de clientèle. Sa capacité à interagir de manière fluide et flexible avec les clients est une exigence clé du poste. Supprimer ou réduire significativement les critères d’évaluation liés aux compétences de communication directe et aux interactions sociales pour s’adapter à la personne autiste serait une charge disproportionnée. Cela signifierait que l’évaluation ne mesure plus les compétences essentielles pour le poste, telles que la capacité à gérer des situations clients variées, à résoudre des conflits ou à négocier des contrats.
- Évaluation adaptée : au lieu de modifier les critères d’évaluation de manière drastique, l’entreprise pourrait explorer des aménagements raisonnables qui permettent à la personne autiste de mieux remplir ses fonctions sans éliminer les exigences essentielles du poste. Cela pourrait inclure les actions suivantes :
- Offrir à la personne des formations spécifiques sur les compétences sociales et de communication, avec des stratégies adaptées à ses besoins.
- Utiliser des outils technologiques qui peuvent aider à gérer la communication, comme des logiciels de gestion de la relation client qui préparent des scripts ou des prompts pour les interactions.
- Assigner un mentor ou un coach qui peut aider la personne à naviguer dans des situations sociales complexes au travail.
En appliquant ces aménagements, l’entreprise maintient l’intégrité des exigences du poste tout en soutenant la personne autiste pour qu’elle réussisse dans son rôle, offrant ainsi une solution plus équilibrée et durable.
Diabète
- Charge disproportionnée : exempter la personne de toutes responsabilités liées à des délais, compromettant l’efficacité opérationnelle.
- Evaluation adaptée : maintenir une régularité du rythme de travail. En cas de pic d’activité, il convient de laisser la personne organiser son travail pour alterner les tâches exigeant de l’endurance et d’autres tâches moins fatigantes physiquement ou moins stressantes de sorte à garder une forme d’équilibre entre les efforts à fournir. Sur cette base, une évaluation équitable est possible.
Arthrite
- Charge disproportionnée : modifier toutes les tâches d’évaluation pour éviter tout effort physique, même lorsque des aménagements raisonnables peuvent être mis en place.
- Évaluation adaptée : fournir des équipements ergonomiques pour réaliser le travail et réaliser une évaluation équitable.
Quand l’aménagement raisonnable est totalement mis en place et que l’évaluation adaptée, la démarche peut être qualifiée d’inclusive. Sur cette base, si un écart important apparaît entre la performance attendue et le travail réalisé, il convient d’analyser l’origine du problème. Les causes peuvent être variées :
- La maladie s’est aggravée
- Le handicap est le même mais l’environnement, l’entourage professionnel ou les conditions ou outils de travail ont changé de sorte que les aménagements antérieurs ont disparu ou ne sont plus pertinents
- La personne n’a pas pu suivre les formations nécessaires au maintien de sa performance à cause de son handicap
- La détérioration de la qualité ou de la productivité a d’autres causes
Les causes 1, 2 et 3 impliquent l’organisation d’une visite médicale avec le médecin du travail pour retrouver la dynamique de l’aménagement raisonnable.
La cause 4 doit se gérer de la même manière qu’on le ferait avec toute autre personne employée dans l’entreprise.
Comment communiquer avec l’équipe sur l’évaluation adaptée ?
La communication sur les modalités d’évaluation du personnel, en particulier lorsqu’il s’agit d’aménagements associés au handicap, est un sujet délicat qui nécessite une approche réfléchie. Voici les avantages et les inconvénients de communiquer ou non sur les conditions des évaluations, suivis d’une recommandation pour un management inclusif.
- Ne pas communiquer sur les modalités d’évaluation
Avantages :
- Confidentialité préservée : le maintien de la confidentialité sur les situations de handicap des collègues et leurs besoins spécifiques peut aider à éviter les stigmates ou les jugements.
- Simplicité de gestion : cela évite de générer des débats ou des tensions au sein de l’équipe concernant la « justice » ou l’équité des ajustements.
Inconvénients :
- Manque de transparence : l’opacité peut conduire à des rumeurs ou des malentendus sur les raisons pour lesquelles certaines personnes sont traitées différemment, ce qui peut affecter le moral, voire détériorer le climat social de l’équipe.
- Résistances et contestations : sans une compréhension claire des raisons des différences dans le traitement, les collègues peuvent se sentir injustement traités ou désavantagés.
- Communiquer sur les modalités d’évaluation
Avantages :
- Transparence complète : cette approche clarifie pourquoi et comment les ajustements sont faits, ce qui peut renforcer la confiance et le respect au sein de l’équipe.
- Promotion de l’inclusion : cela sensibilise tout le personnel aux défis rencontrés par les Personnes en Situation de Handicap et montre l’engagement de l’entreprise en faveur de l’équité et de l’inclusion.
Inconvénients :
- Risque de stigmatisation : les informations sur l’existence de situations de handicap pourraient engendrer des comportements non-inclusifs, parfois même du harcèlement, envers les personnes concernées.
- Gestion des perceptions : les collègues sans handicap pourraient sentir que les adaptations offrent un « avantage » injuste, ce qui pourrait créer des tensions.
- Solution recommandée pour un management inclusif
Pour gérer efficacement ces dynamiques et rester dans un cadre de management inclusif, tout en surmontant les résistances et les contestations, une approche mixte est recommandée :
- Communiquer sur les principes généraux, pas sur les cas spécifiques : informez l’équipe sur la politique inclusive de l’entreprise sans entrer dans les détails des situations individuelles ; expliquez que ces politiques sont en place pour garantir l’équité et permettre à tout le monde de contribuer efficacement selon ses capacités.
- Former ou sensibiliser : organisez des sessions de formation sur la diversité et l’inclusion qui évoquent les besoins des personnes handicapées et l’importance des aménagements raisonnables. Cela aidera à normaliser les adaptations et à minimiser la stigmatisation.
- Créer un environnement de communication ouverte : encouragez une culture où chaque personne peut exprimer ses préoccupations et poser des questions sur les politiques en place de manière constructive et respectueuse.
- Contrôler et ajuster les politiques : surveillez régulièrement l’efficacité des aménagements et ajustez-les en fonction des retours des personnes concernées et de l’évolution des besoins.
En adoptant cette approche, l’entreprise peut maintenir un environnement de travail inclusif et équitable, renforcer la cohésion de l’équipe et minimiser les risques de contestation tout en respectant la confidentialité et la dignité des Personnes en Situation de Handicap.